Quatre jours pour sauver notre planète?

28. Avr 2021 | contribution externe

Dans le monde entier, des initiatives exigent une réduction du temps de travail pour protéger le climat. Moins de travail sans réduction de salaire diminue le stress, améliore la santé et le bien-être. Mais cela contribue-t-il aussi à réaliser les objectifs de ­développement durable de l’ONU ?

Alors que le plan d’action des grévistes pour le climat exige une durée de travail hebdomadaire de 24 heures, réparties sur quatre jours, ou que l’Espagne envisage la semaine de travail de quatre jours, la réalité en Suisse est actuellement toute autre : la semaine de travail ordinaire est de 42 heures, nous plaçant, avec l’Islande, en tête du classement européen des pays où le temps de travail est le plus élevé. Selon l’étude Job Stress Index 2020, en Suisse, trois personnes actives sur dix ne disposent pas d’assez de ressources pour faire face aux contraintes liées au travail. Le stress lié au travail coûterait environ CHF 7,6 milliards par an aux entreprises.

Diverses études montrent pourtant qu’une réduction du nombre d’heures de travail quotidien pour un même salaire permettrait de diminuer ce stress, améliorer la qualité du sommeil et, d’une manière générale, l’état de santé et le bien-être des employé-e-s. Le nombre d’absences pour cause de maladie baisserait aussi. Pour les professions où les horaires de travail sont très longs et, ou, flexibles, l’effet positif sur la santé et le bien-être est aussi lié à l’autonomie de la gestion du temps. A savoir quand les salarié-e-s peuvent fixer eux-mêmes les horaires et la durée du travail. Moins de travail contribue à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée à condition qu’il réponde donc aux exigences d’autodétermination et de flexibilité des employé-e-s et empêche une flexibilisation unilatérale de la part des employeurs.

Un effet pour la planète

Déjà en 2006, une première étude a montré que des horaires de travail plus longs avaient également un effet négatif sur la planète en conduisant en moyenne à des émissions proportionnellement élevées. A contrario, une réduction du temps de travail de 10 % réduirait en conséquent notre empreinte carbone de 14,6 %. Cet effet s’explique par différents facteurs : les temps de déplacement se réduisent, tandis que l’efficacité de la production augmente. Quant à l’empreinte carbone, elle baisse. Les gens ont plus de temps pour cuisiner, se déplacer à pied ou en vélo, ou réparer des biens de consommation. Lorsque la réduction du temps de travail s’accompagne d’une amélioration du bien-être, les « achats compensatoires » destinés à obtenir une satisfaction instantanée par la consommation tendent aussi à disparaître.

L’effet climatique d’une réduction du temps de travail dépend toutefois fortement des activités que nous entreprenons pendant le temps ainsi nouvellement gagné. Dans ce contexte, les expériences menées en France incitent à l’optimisme : dans les années qui ont suivi l’introduction de la loi sur les 35 heures au début du millénaire, il est apparu que les gens investissaient le temps désormais à disposition dans des activités préservant les ressources : la famille, la détente, le sport et le bénévolat remportaient la palme. Les activités consommatrices d’énergie, telles que les voyages ou la consommation, n’arrivaient qu’en bas de la liste.

Ainsi, les activités que nous percevons comme agréables requièrent souvent moins d’énergie. Si nous investissons le temps de travail économisé dans la musique, la culture ou le sport, si nous cultivons nos relations ou notre jardin, si nous accordons plus de place à la spiritualité, nous augmentons notre bien-être et apportons en même temps une contribution à l’environnement et au climat.

Plus de travail pour toutes et tous ?

Une réduction du temps de travail peut aussi contribuer à répartir le travail plus équitablement entre salarié-e-s à plein temps menacés de burnout et personnes sous-occupées ou au chômage. Mais qui doit payer les coûts de la réduction du temps de travail ? Pour des raisons de justice sociale, la réduction du temps de travail ne doit pas s’accompagner d’une réduction des salaires pour les personnes à faibles revenus. Pour les revenus élevés, en revanche, une réduction pourrait ­favoriser un effet climatique supplémentaire. Car au-delà d’un certain seuil de salaire, un revenu supplémentaire ne contribue pas davantage à l’amélioration du bien-être et de la qualité de vie, mais augmente par contre l’empreinte des gaz à effet de serre.

Un triple avantage 

Mais ne nous y détrompons pas, la réduction du temps de travail à elle seule ne suffira pas à sauver notre planète. Elle offre certes des leviers importants pour générer un effet positif tant sur le plan social (santé et bien-être), climatique et environnemental (à condition que le temps libre nouvellement gagné soit utilisé de manière à préserver les ressources) et économique (répartition plus équitable du travail).

D’autres mesures sont toutefois nécessaires : nous ne pourrons pas éviter de déplacer les emplois vers des domaines durables. Les emplois ayant une forte empreinte écologique doivent être réduits. Pour ce faire, il faut des emplois supplémentaires dans les domaines à forte intensité de main-d’œuvre et préservant les ressources, dans les soins, dans l’éducation, dans la culture ou dans l’agriculture biologique.

Un travail décent pour toutes et tous à l’Agenda 2030

Tous les pays du monde ont adopté en 2015 l’Agenda 2030 pour le développement durable. Ils se sont mis d’accord sur une vision ­future d’un monde en paix, où personne ne doit souffrir de la faim, où les écosystèmes sur terre et dans l’eau sont protégés, et où la consommation et la production ne dépassent pas les limites planétaires. Cette vision comporte 17 objectifs de développement durable (ODD) pour concrétiser cette vision de l’avenir.

Afin qu’une réduction du temps de travail permette de réaliser les objectifs de développement durable de l’Agenda 2030 de l’ONU, elle doit avoir un effet positif au niveau social, environnemental et économique. Dans le contexte du travail, l’Agenda 2030 reprend l’Agenda pour le travail décent de l’Organisation internationale du travail (OIT). L’ODD 8 fixe l’objectif du plein emploi productif et d’un travail décent pour toutes et tous. L’ODD 3 vise à garantir une vie saine à tout le monde. Le travail non rémunéré, ménager et de soins, devrait être réparti plus équitablement entre les sexes, et il faudrait assurer la participation pleine et effective des femmes et leur donner des chances égales d’assumer des rôles de direction (ODD 5).

Enfin, il convient de mettre fin à la pauvreté (ODD 1), de réduire les inégalités (ODD 10), de protéger la biodiversité (ODD 14 et 15) et d’atteindre les objectifs climatiques de Paris (ODD 13). Nous avons moins de dix ans pour y arriver !

Crédit photo: Rush hour at Shinjuku.  Wikipedia and Wikimedia Commons, by Chris 73, cc-by-sa 3.0.

Schassmann Eva
Eva Schmassmann

Plateforme Agenda 2030

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