La protection des espèces, c’est aussi la prévention sanitaire

16. Juin 2020 | contribution externe

Entretien avec Friedrich Wulf, Pro Natura

Quels sont les effets du Covid-19 sur le développement durable ? La Plateforme Agenda 2030 mène une série d’entretiens avec des spécialistes de nos organisations membres.

Un virus arrive et bouleverse le monde entier de manière inattendue. Comment Pro Natura se rend-elle compte concrètement que le virus est là ?

Avec près de 2000 décès en Suisse et les restrictions nécessaires à notre vie quotidienne, le virus a de graves conséquences pour nous tous. Du point de vue de la protection de la nature, cependant, le plus évident est que les gens s’installent à nouveau davantage dans leurs jardins, mais aussi dans les zones de loisirs voisines et dans nos réserves naturelles et qu’ils y recherchent de la détente. D’une part, c’est bien sûr une bonne chose, et nous sommes heureux de la valorisation de la nature que cela représente. Mais d’un autre côté, le nombre important de visiteurs apporte également une pression supplémentaire sur nos réserves naturelles. Plus que jamais, nous aimerions demander à nos visiteurs de bien vouloir respecter les règles, de ne pas déranger les animaux et les plantes et de rester sur les sentiers, en particulier dans les zones protégées.

Les infections virales telles que le Covid-19 sont souvent d’origine animale. Pouvez-vous expliquer ce lien entre la santé humaine et la santé animale ?

La biodiversité, le bien-être animal et la santé humaine sont étroitement liés. Le Sars, le Mers, le virus Ebola, le VIH, le nouveau coronavirus et d’autres agents pathogènes sont passés des animaux aux humains. La destruction des habitats naturels tels que la forêt tropicale et la détention inappropriée d’animaux sauvages et d’élevage jouent un rôle décisif. Si les animaux ne disposent pas de leur habitat et de leurs sources de nourriture, cela les oblige à se rapprocher des humains ; si nous ne tenons pas compte de la distance minimale entre les animaux et les humains – par exemple dans les marchés d’animaux sauvages ou dans les fermes industrielles – et que nous les maintenons dans de mauvaises conditions d’hygiène, cela entraîne des infections et des épidémies.

Cela signifie que nous ne devons pas continuer à détruire la nature et ne pas pénétrer davantage dans de nouvelles zones naturelles, mais aussi que nous ne devons pas entasser les animaux dans des espaces confinés dans des conditions inappropriées pour leur espèce, où ils peuvent s’infecter mutuellement et nous infecter, nous les humains. Comme le montre Covid-19, ces infections se propagent rapidement dans le monde entier dans le contexte actuel de mondialisation.

La crise du coronavirus montre à quel point il est important de prendre des mesures de précaution. Quels parallèles faites-vous avec d’autres crises, comme la perte massive de biodiversité ou la crise climatique ?

Face au danger d’effondrement des systèmes de santé, la politique, les entreprises et la société ont pris des mesures drastiques. Nous devons supporter certains coûts maintenant et éviter ainsi que la facture ne soit encore plus élevée demain en raison de l’inaction.

Mais ce n’est pas la seule crise grave qui menace notre survie. L’appauvrissement de nos habitats naturels et l’extinction des êtres vivants menacent l’adaptabilité des écosystèmes et, entre autres, notre sécurité d’approvisionnement en matières premières pour les médicaments, les aliments et d’autres biens quotidiens (tels que l’air pur, l’eau propre, les sols fertiles, le travail de pollinisation des insectes). Toutefois, les conséquences ne se font sentir qu’après des années de retard. Ici aussi, des mesures drastiques sont désormais nécessaires pour éviter des dommages encore plus importants.

Pro Natura demande donc que nous investissions maintenant dans un monde qui résiste vraiment aux crises, libéré de l’obligation de la croissance : en renonçant à l’agriculture industrielle, aux combustibles fossiles, à la surexploitation, aux transports à longue distance et à l’exploitation des personnes et des ressources dans les autres régions du monde. Le fait que, face à la crise, les entreprises se tournent à nouveau de plus en plus vers des sources d’approvisionnement européennes et régionales est un bon début.

Pouvons-nous également tirer des leçons de la crise du Coronavirus ? Peut-elle nous aider à construire une société plus durable ?

Aujourd’hui, nous faisons involontairement, par solidarité avec les personnes dont la santé est menacée, ce que nous aurions dû faire il y a longtemps en termes écologiques. De manière inattendue, le monde se caractérise par une diminution de la consommation, du trafic, de la consommation d’énergie, du bruit et des émissions. À mesure que le nombre d’infections diminue, nos vies devraient progressivement revenir à la normale et l’économie devrait être relancée. Mais voulons-nous revenir aux anciens modèles ? Ou saisir l’occasion de devenir plus durable ?

Nombreux sont ceux qui trouvent également des aspects positifs à la décélération actuelle et à la sobriété : la crise actuelle nous oblige à réfléchir à notre comportement de consommateur. Cela profite également aux habitants des pays les plus pauvres dont l’existence est menacée par la crise du coronavirus. Il s’agit maintenant de saisir les opportunités écologiques de la reconstruction, tout en agissant de manière socialement responsable et en faisant ainsi du monde un endroit plus durable. Si nous réduisons notre consommation, la pression sur l’utilisation des terres dans les pays du Sud diminuera également – ce qui signifie plus d’espace pour les écosystèmes de ces pays, mais aussi pour leur agriculture locale.

 

Interview conduite par Eva Schmassmann.

Pour plus d’informations : www.pronatura.ch/fr/lecons-environnementales-de-la-crise-du-corona

Crédits photo: Stefan Bröckling, L’engraissement des canardsCC BY-NC-SA

Dominik Gross
Friedrich Wulf

Chef de projet Politique et affaires internationales, Pro Natura Suisse

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