Qui sont les laissé·e·s-pour-compte de notre société ?

8. Août 2022 | contribution externe

La promesse « Ne laisser personne de côté », au cœur de l’Agenda 2030, rappelle la nécessité d’une société inclusive, qui promeut l’égalité des chances. Néanmoins, le temps à disposition pour mettre en œuvre les 17 objectifs de développement durable (ODD) est court. Ces objectifs ne pourront pas être atteints sans une participation égale de toutes les personnes à la vie de la société et un accès équitable aux droits et aux ressources. Il est donc essentiel, aujourd’hui, de faire le point et de se demander : « Qui sont les laissé·e·s-pour-compte de notre société ? »

L’ODD 10 de l’Agenda 2030 pour le développement durable vise une société dans laquelle toutes les personnes peuvent participer à la vie sociale, économique et politique. Malgré ce projet important et ambitieux, force est de constater que les inégalités se creusent, en Suisse comme à l’étranger. La pandémie, les guerres et la crise climatique sont venues renforcer cette tendance. En comparaison avec d’autres pays, la Suisse s’en sort plutôt bien. Toutefois, ce sont les personnes déjà socialement défavorisées qui subissent le plus durement les répercussions de ces crises.

Nous vivons dans l’un des pays les plus riches du monde. Pourtant, en Suisse aussi, le nombre de personnes touchées par la pauvreté ne cesse d’augmenter. Aujourd’hui, elles sont près de 750 000. Il faut traiter ce problème à sa source, c’est-à-dire s’attaquer aux conditions structurelles injustes de notre pays. Or, les moyens utilisés ne sont souvent pas les bons. Depuis des années, le discours politique se fait de plus en plus restrictif en ce qui concerne l’aide sociale, avec pour conséquence une diminution des prestations. Souvent, ces réductions visent les personnes qui n’ont pas la nationalité suisse. Si elles ont recours à l’aide sociale, cela peut avoir des répercussions négatives sur leur statut de séjour. Nombre d’entre elles ont peur et renoncent donc à ce soutien financier, alors qu’elles se trouvent dans une situation critique et y auraient droit. Au lieu de lutter contre la pauvreté, cette politique nuit à celles et à ceux qui en sont victimes. Non seulement ces tendances politiques sont discutables d’un point de vue éthique, mais elles ont aussi peu de sens sur le plan économique.

En Suisse, le recours à l’aide sociale classique est même exclu pour certaines personnes : les personnes admises à titre provisoire et les réfugié·e·s d’Ukraine, qui ont dû fuir la guerre dans leur pays et ont cherché refuge en Suisse. Les prestations de soutien que ces personnes reçoivent sont souvent réduites par rapport à l’aide sociale classique. Dans le canton de Zurich, par exemple, le montant des prestations peut être, selon les communes, de 30 à 70 % inférieur à celui du forfait pour l’entretien défini par la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS). Ce montant ne suffit pas pour vivre. Souvent, la situation financière difficile qui en résulte est source d’exclusion sociale et d’isolement. Elle empêche les individus de participer pleinement à la société et de mener leur vie en toute autonomie.

La situation est particulièrement précaire pour les sans-papiers. Ces personnes en situation irrégulière en Suisse travaillent pour un salaire extrêmement bas dans des conditions très difficiles. Souvent, ce sont elles qui nettoient nos logements, construisent nos maisons ou gardent nos enfants. Elles concourent donc au bon fonctionnement de notre société. Pourtant, aucune statistique officielle ne les prend en compte. Elles sont livrées à elles-mêmes. Cette réalité est devenue évidente pendant la pandémie, lorsque nombre de personnes ont vu leurs revenus chuter du jour au lendemain. Les sans-papiers ne disposant pas d’un accès garanti à l’aide publique, beaucoup ne pouvaient plus payer le strict nécessaire, notamment le loyer ou la nourriture. Ces personnes ont en outre difficilement accès à la justice. Si elles se présentent devant un tribunal, elles risquent d’être dénoncées et expulsées. 

Toutes les personnes à propos desquelles j’écris aujourd’hui ont peu de possibilités. Souvent, elles ne peuvent pas se défendre, ne sont pas entendues et sont invisibles. À cause de leur statut de séjour, elles se retrouvent marginalisées, à la fois sur le plan économique, politique et social. 

Tant que, parmi nous, des personnes seront privées de leurs droits fondamentaux, les objectifs de l’Agenda 2030 ne pourront pas être atteints. Je répète donc ma question : Qui sont les laissé·e·s-pour-compte de notre société ? La réponse à cette question est fondamentale pour pouvoir construire une société plus pacifique, juste et inclusive. Outre les personnes dont le statut de séjour est incertain, sont également concernés les parents célibataires, les personnes âgées, les chômeuses et les chômeurs, les personnes malades, les victimes de racisme, les individus confrontés à de multiples discriminations et bien d’autres personnes encore. 

« Le vrai caractère d’une société se révèle dans la façon dont elle traite ses enfants. » Cette phrase de Nelson Mandela vaut aussi pour les plus vulnérables au sein de notre société. Ne laisser personne de côté est essentiel, non seulement pour les personnes concernées, mais aussi pour nous tou·te·s. C’est essentiel pour la société dans son ensemble.

Cet article fut publié en juillet 2022 dans le blog de EPER.

Portrait Nina Vladovic
Nina Vladovic

Responsable du service Intégration à l’EPER.

Links:

Blog de l’EPER regards au-delà des frontières.

Chapitre sur l’ODD 10 Ne laissons personne de côté du rapport « continuer à vivre aux dépens du monde ? »

 

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