Réorienter tous les domaines politiques vers le développement durable

Le dernier des dix-sept objectifs de développement durable énonce les conditions-cadres indispensables pour atteindre tous les autres. Outre un financement par les recettes fiscales et une diminution de la dette publique surtout dans les pays du sud, cet ODD définit des cibles pour la politique commerciale, la cohérence des politiques de développement durable et les partenariats.

Tous les pays doivent disposer de recettes fiscales suffisantes. Les ressources étatiques sont actuellement très inégalement réparties. Alors que le budget annuel de la Norvège avoisine les 20 000 dollars US par habitant·e, les dépenses publiques de la République démocratique du Congo n’atteignent pas 20 dollars US par habitant·e. La politique fiscale de la Suisse ne contribue guère à faire diminuer ces inégalités, bien au contraire : Economists Without Borders estime que les multinationales rapatrient chaque année en Suisse plus de 100 milliards de dollars US de bénéfice, qui échappent ainsi à l’impôt dans les pays où elles les réalisent.

L’endettement réduit considérablement la marge de manœuvre financière des pays générant un revenu faible à moyen. On l’a vu lors de la pandémie de coronavirus : alors que le Conseil fédéral acceptait d’augmentation des dépenses de plus de 50 milliards de francs pour les années 2020/2021, 83 pays ont dû se serrer la ceinture en pleine pandémie pour pouvoir rembourser leurs dettes. Même dans cette situation exceptionnelle, les riches nations propriétaires des créances et les instituts de crédit privé (dont les banques suisses et les négociants en matières premières) n’ont pas consenti à suspendre les dettes pour le temps nécessaire, voire à les annuler.

Les investissements directs à l’étranger peuvent aider à financer certains ODD, mais aussi réduire la capacité d’un pays à édicter des lois qui protègent sa population et l’environnement. Glencore a par exemple récemment attaqué en justice l’État colombien pour non-respect des accords de protection des investissements entre la Colombie et la Suisse. La Cour suprême de Colombie avait gelé le projet d’expansion de la mine de charbon de Cerrejón, coupable selon elle de ne pas prendre en compte à sa juste mesure l’impact négatif sur la population locale et l’environnement.

Les pays riches avaient décidé en 1970 déjà d’augmenter les moyens affectés à la coopération au développement, promettant de consacrer à celle-ci 0,7 % de leur produit intérieur brut. Cet engagement n’a à ce jour pas été tenu. Depuis des années, la contribution de la Suisse ne dépasse pas 0,5 % de son PIB. Une part croissante de ce montant est investie dans des projets de protection du climat, ce qui signifie moins de ressources pour s’attaquer directement à la pauvreté.

Les partenariats avec le secteur privé et les entreprises actives au plan international n’ont pas été jusqu’ici soumis à une surveillance suffisamment stricte pour s’assurer qu’ils favorisent effectivement le développement durable et que les gains sont par exemple imposés sur le lieu même de création de la valeur.

De même, la politique commerciale de la Suisse est trop peu axée sur le développement durable. Depuis quelques années, les accords de libre-échange comprennent un chapitre sur le développement durable, mais celui-ci n’impose généralement aucune obligation aux parties. En revanche, le Conseil fédéral exige des pays partenaires qu’ils adhèrent à une conception draconienne des droits de propriété intellectuelle sur les semences, en violation des droits paysans. La Suisse défend une protection forte des brevets sur les vaccins anti-covid et les médicaments, compromettant ainsi l’exercice du droit à la santé dans de nombreuses régions du monde. Le Conseil fédéral a certes accepté de soumettre dorénavant les projets d’accords de libre-échange à des analyses d’impact en termes de développement durable. Il s’engage à examiner leurs conséquences non seulement sur l’environnement, mais aussi sur les droits humains. On attend encore de voir les résultats.

Dans tous ces domaines politiques – politique fiscale et financière, politique commerciale – des changements sont indispensables pour améliorer la cohérence des politiques pour le développement durable. Selon ce point central de l’ODD 17, toutes les décisions politiques doivent concourir à un développement global et durable. L’index Spillover du Sustainable Development Solutions Network SDSN mesure à quel point la politique d’un pays a des effets négatifs dans un autre. La Suisse n’a pas de quoi pavoiser : elle occupe la cinquième plus mauvaise place du classement ; seuls les Émirats arabes unis, le Luxembourg, la Guyane et Singapour font encore moins bien.

Nos revendications

  • La Confédération analyse l’impact du droit fiscal suisse sur les pays du sud.
  • La Confédération recueille et publie des données pays par pays sur les structures mondiales et les indicateurs économiques des multinationales (« public Country-by-Country-Reporting ») ; elle ordonne de la transparence là où ces données peuvent révéler des flux financiers déloyaux et illicites.
  • La Suisse plaide activement et de façon constructive pour un processus de désendettement durable dans les pays du sud surendettés.
  • La Suisse oriente sa politique commerciale de manière à remplir ses engagements en matière de droits humains à l’égard des populations à l’étranger, notamment en ce qui concerne le droit à la santé et le droit à l’alimentation.
  • La Suisse renégocie ses accords de protection des investissements. Elle cesse de protéger les investissements contre les effets de nouvelles réglementations essentielles pour la protection de l’environnement, de la santé et d’autres engagements envers les droits humains.
  • Les accords commerciaux bilatéraux incluent dorénavant des critères de développement durable obligatoires. La Suisse renonce à y faire figurer des dispositions dictant aux États partenaires la manière dont ils doivent réglementer les droits de propriété intellectuelle (en particulier la protection des variétés végétales).
  • Comme elle s’y est engagée, la Suisse augmente le budget de sa coopération au développement à 0,7 % de son produit intérieur brut.
  • La Suisse conditionne les partenariats avec le secteur privé (partenariats publics-privés) à la mise en place de mécanismes de contrôle efficaces du devoir de diligence relatif aux droits humains, aux risques environnementaux et aux pratiques fiscales. Elle prend des mesures incisives pour empêcher que les entreprises locales ne soient écartées du marché ou concurrencées dans les pays du sud.
Schassmann Eva
Auteurs
Eva Schmassmann

Avec la collaboration d’Isolda Agazzi et de Dominik Gross, Alliance Sud, Patrik Berlinger, Helvetas

Rapport en PDF

ODD 17 (PDF)

Littérature complémentaire
Ce chapitre aborde les liens avec les ODDs suivants :