Pauvreté, chômage, faim : conséquences de Covid-19

16. Déc 2020 | actualité

La crise mondiale du coronavirus compromet la mise en œuvre de l’Agenda 2030 et des 17 objectifs de développement durable (ODD) dans tous les pays. Elle risque d’anéantir les progrès accomplis et d’effacer d’un coup les acquis de ces dernières années. Nous vous présentons ici une première analyse des effets de la pandémie sur chacun des ODD, et des tendances observables en Suisse et dans le reste du monde. Nous renvoyons à des sites web qui renseignent sur les évolutions les plus récentes et où l’on trouvera des informations, des chiffres et des données factuelles à jour. Pour terminer cette petite série, nous souhaitons tirer un bilan et réfléchir à la nouvelle vulnérabilité qui se révèle à la faveur de cette crise : comment pouvons-nous utiliser les ressources nécessaires pour progresser en vue des ODD et atténuer le choc de la pandémie et de ses conséquences ? Où y a-t-il lieu de mieux les répartir ?

La pandémie de Covid-19 a plongé la planète entière dans la crise

Depuis près d’une année, le monde est sous l’emprise du coronavirus : il a déjà infecté 46‘403‘652 personnes (état au 2.11.2020), et 1 198 569 d’entre elles en sont mortes. En moins d’une année, l’économie mondiale a subi un choc dont elle ne devrait pas se relever avant 2022. Tant qu’un vaccin n’est pas disponible à grande échelle, les États doivent recourir à des moyens non pharmacologiques pour freiner l’expansion du virus et ne pas surcharger le système de santé, afin que tous les malades aient accès aux soins. Les conséquences en sont d’innombrables fermetures (frontières, écoles), l’augmentation du télétravail, le transfert des activités dans la sphère virtuelle ainsi qu’une limitation de certains droits fondamentaux comme la liberté de rassemblement et de déplacement. La baisse de la demande et le ralentissement de la production signent l’arrêt brutal de la croissance économique : en 2020, le BIP mondial devrait diminuer de 4,5 % (OCDE). Malgré les 1 400 crédits d’urgence, les multiples reports de créances, le chômage partiel et les plans sociaux pour le maintien de l’emploi dans plus de 144 pays, certaines des mesures de protection prises par 169 États à hauteur de 11 trillions de dollars engendrent elles-mêmes des crises : le confinement a fait bondir les chiffres du chômage et le nombre d’enfants et de jeunes présentant des lacunes d’apprentissage ou en échec scolaire. Le risque de sous-alimentation, de pauvreté et de violences domestiques augmente. Ce cercle vicieux affecte également les objectifs mondiaux de développement durable, les ODD. La pandémie menace d’interrompre les efforts entrepris pour mettre en œuvre l’Agenda2030. António Guterres, secrétaire général de l’ONU, parle d’une décennie de progrès « effacée ».

 

L’urgence sanitaire déclenche plusieurs crises : pauvreté, chômage, faim

Le virus frappe tout en chacun, quel que soit son lieu de vie, son statut, sa profession. Mais il affecte très différemment les personnes selon les ressources dont elles disposent, et a de graves répercussions sur l’égalité des chances. Citons l’assignation aux femmes aux tâches domestiques et aux soins aux enfants (ODD 5 « Égalité entre les sexes ») ainsi que le fossé numérique qui se creuse entre les quelque 1,25 milliard d’élèves qui dans le monde sont concernés par la fermeture des écoles. La crise confère une résonnance particulière à l’impératif au cœur de l’Agenda 2030, qui est de ne laisser personne de côté (« leave no one behind »). Il va de soi que toutes les mesures nécessaires doivent être prises pour protéger la santé des populations. Lors du début de la pandémie, l’accent a été mis sur l’ODD 2 « Santé pour tous ». Il faut cependant négocier de nouveaux compromis pour résoudre le conflit d’objectifs qui en découle, opposant la productivité et le travail (ODD 8) à la protection de la santé (ODD 3). Une tâche ardue, d’autant plus que la crise touche également d’autres ODD et que les solutions restent à trouver. On en veut pour preuve l’augmentation vertigineuse de la pauvreté (ODD 1) et de la faim (ODD 2). Oxfam escompte que dans les pays en développement, davantage de personnes (12 000) meurent chaque jour de la faim qu’on ne compte de décès quotidiens dus au Covid-19 dans le monde entier (10 000).

Les effets des différentes crises dues au Covid-19 sont présentés et chiffrés ci-après pour trois ODD à l’échelle mondiale et en Suisse :

L’ODD 1 appelle à éliminer complètement l’extrême pauvreté d’ici à 2030 (cible 1.1) et à réduire de moitié la proportion de personnes vivant dans la pauvreté sous toutes ses formes telle que définie pour chaque pays (cible 1.2). En raison du coronavirus, celle-ci a recommencé à augmenter pour la première fois depuis trois décennies : un demi-milliard de personnes, ou 8 % de la population mondiale, ont basculé cette année dans la pauvreté.

Le nombre de personnes en situation d’extrême pauvreté, qui doivent survivre avec moins de 1,9 dollar par jour, a augmenté de 40-149 millions, alors qu’elles étaient déjà 689 millions avant la crise.

En Suisse, une nouvelle pauvreté apparaît dans les secteurs économiques faiblement rémunérateurs, où une perte de revenu de 20 % due au chômage partiel plonge les personnes dans la précarité. Les mesures d’aide décrétées pour faire face au Covid-19 visent certes à protéger les emplois. La conférence suisse des institutions d’aide sociale (CSIAS) prévoit tout de même une augmentation de près de 28 % des demandes d’aide sociale en 2022.

L’ODD 8 engage les États à garantir à toutes et à tous un travail décent (cible 8.5). En dépit du chômage partiel et des plans sociaux, la moitié des 3,3 milliards d’actifs dans le monde risque de perdre sa source de revenus en raison de la crise du coronavirus (OIT, FAO, FIDA et OMS), car seulement 22 % d’entre eux bénéficient d’un filet de sécurité.

En Suisse, le taux de chômage a doublé par rapport à l’année 2019 (OFS).

L’ODD 2 veut éliminer la faim (cible 2.1) et toutes les formes de malnutrition, en particulier chez les enfants (cible 2.2). Or le coronavirus est aussi le virus de la faim. En 2020, 7 millions de personnes sont mortes de faim, un chiffre à mettre en regard du million de décès dus au Covid-19 (Oxfam). Au début de la pandémie, 85 millions de personnes souffraient d’un état de sous-alimentation sévère qui mettait leur vie en danger. Aujourd’hui, elles sont 135 millions, et ce chiffre pourrait grimper à 256 millions d’ici la fin de l’année (FAO).

 

Coordonner les mesures visant à atteindre chaque ODD pour trouver une issue à la crise

Aucune réponse à la crise du coronavirus ne peut négliger l’impératif qui commande de veiller, pour chaque mesure prise au nom de l’Agenda 2030, à ne pas nuire aux autres objectifs, résumé par la formule « Do no harm ». Car les ODD et la pandémie sont indissolublement liés. Il n’est pas possible de dissocier les solutions apportées. Si on investit davantage dans le secteur de la santé, il faut aussitôt compenser par des efforts équivalents en ce qui concerne la pauvreté, la faim, le travail, l’éducation et l’égalité entre les femmes et les hommes. La politique et la société civile doivent être attentives au maintien de ce fragile équilibre entre les différents ODD et rendre visibles ces liens d’interdépendance. Sans cela, les risques de malnutrition, d’échec scolaire et de lacunes de formation, de pauvreté et de chômage ne feront qu’augmenter. Il faut aussi reconnaître que les ODD interagissent avec les autres décisions politiques et juridiques, selon qu’ils sont concrétisés à l’échelon local, régional et international. Enfin, cette mise en œuvre doit être plus étroitement encadrée par le système des droits humains.

Pour résumer, on peut dire qu’il s’agit là d’une question de gouvernance : les ressources doivent être utilisées de manière à ce que les effets qui en découlent pour tous les ODD apparentés soient positifs et qu’il en résulte des synergies. Les mesures visant à maintenir l’ouverture des écoles et à fournir une prise en charge parascolaire gratuite et des repas aux élèves ont ainsi des effets sur l’ODD 4 (accès à une éducation de qualité), mais aussi sur l’ODD 1 (élimination de la pauvreté), l’ODD 2 (élimination de la faim), l’ODD 5 (égalité des sexes) et l’ODD 8 (croissance économique soutenable).

La question des ressources se pose doublement : comment pouvons-nous mobiliser des moyens supplémentaires durant la crise ? Quelle marge de manœuvre avons-nous pour générer de nouvelles recettes ? La question des ressources est aussi une question de répartition : compte tenu de leur limitation, les décisions concernant un domaine peuvent engendrer d’autres inégalités et créer de la pauvreté. Le principe de l’Agenda 2030 « Leave no one behind » doit une fois encore nous servir de boussole : la mise en œuvre des ODD ne doit laisser personne de côté.

 

Source foto: WHO Coronavirus Disease Dashboard (27.11.2020)

 

Dominik Gross
Marion Panizzon

Plateforme Agenda 2030

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