La société civile hausse le ton
Les 2 et 3 avril derniers, Genève a accueilli le Regional Forum on Sustainable Development (RFSD) de la Commission économique des Nations Unies pour l’Europe (UNECE). Ce rendez-vous annuel est devenu, pour les gouvernements, les institutions onusiennes et une large palette d’acteurs, un moment central pour faire le point sur les progrès (ou reculs) vers les Objectifs de développement durable (ODD) dans une région qui va de l’Amérique du Nord à l’Asie centrale. Cette année, malgré les discours engagés et les sessions interactives, un constat s’impose : les ODD patinent. Et la société civile a haussé le ton.
Une région à la traîne
Le rapport 2025 de l’UNECE est sans appel : seuls 17 % des cibles mesurables des ODD devraient être atteints d’ici 2030. Pour 84 d’entre elles, le rythme actuel ne suffit pas. Et 20 cibles montrent une tendance négative. En clair, dix ans après l’adoption de l’Agenda 2030, nous sommes loin du compte.
Malgré les tensions et les nombreuses crises globales, la secrétaire générale de l’UNECE, Madame Tatiana Molcean, a réitéré l’engagement de la région pour l’Agenda 2030 en soulignant le rôle que ce dernier peut jouer dans la recherche des solutions face aux défis posés notamment au multilatéralisme.
Ce sont donc environ 700 personnes qui ont discuté des pistes de solutions et des innovations pour accélérer la mise en œuvre des ODD 3 (santé), 5 (égalité de genre), 8 (travail décent), 14 (vie aquatique) et 17 (partenariats et institutions). Dans les discours officiels, plusieurs éléments ont été cités comme pistes de solution : renforcer les partenariats, le rôle central des gouvernements locaux et des villes ainsi que l’engagement grandissant du secteur privé. La digitalisation, la technologie et l’intelligence artificielle offrent en outre un grand potentiel pour soutenir la durabilité même s’il ne faut pas sous-estimer les risques qu’elles comportent.
Une société civile mobilisée, mais sous pression
En complément à ces discours officiels, une autre voix se faisait entendre — celle des organisations de la société civile, déterminées à ne pas laisser la rhétorique remplacer l’action. Des membres de toute la région se sont engagé∙e∙s sous l’égide du mécanisme régional d’engagement de la société civile (ECE-RCEM) et se sont retrouvés le 1er avril pour coordonner leurs prises de position. La Plateforme Agenda 2030 s’est notamment engagée dans les discussions autour de l’ODD 17 en prononçant le discours au nom de la société civile.
Dès l’ouverture, Marsel Ganeyev, militant kazakh LGBTI, a donné le ton. Dans sa déclaration, il a dénoncé la marginalisation croissante des ONG, la répression politique, et l’explosion des dépenses militaires (2.46 billions de dollars en 2024) qui détourne les ressources de la transition durable : « Le programme 2030 ne peut pas être un exercice d’État à État. Il doit servir les peuples, la nature et les générations futures. »
En clôture, Yara Bon, du Dutch Gender Platform WO=MEN, a salué la participation active des organisations, les progrès juridiques récents, et l’espoir que représente encore le multilatéralisme. Mais elle a aussi alerté : la diplomatie transactionnelle, le recul des droits et la capture des institutions démocratiques menacent profondément les fondations de l’Agenda 2030. Finalement, elle a souligné que la société civile résiste, malgré tout : « Nous traversons une polycrise. Mais nous sommes là. Nous construisons, nous tenons la ligne. »
La société civile était aussi présente dans les tables rondes sur les cinq ODD examinés :
- ODD 3 (Bonne santé et bien-être) : Inégalités d’accès, manque de personnel, discriminations systémiques — notamment envers les personnes LGBTI — sont légion. La société civile exige des systèmes de santé inclusifs, un financement durable, une prise en compte de la santé mentale, et un accès garanti pour toutes et tous et particulièrement pour les popluations plus vulnérables, comme les personnes âgées ou les personnes avec un parcours migratoire. La santé n’est pas une marchandise, c’est un droit humain. (Statement Pannel Discussion / Intervention from the floor)
- ODD 5 (Égalité entre les sexes) : Face à la montée des mouvements d’extrême-droite, aux attaques contre les droits sexuels et reproductifs, et à l’augmentation des violences de genre, les organisations féministes s’engagent en première ligne pour défendre la démocratie. La société civile appelle les gouvernements à défendre les droits durement acquis et à renforcer leur engagement pour une approche intersectionnelle de l’égalité des genres. (Statement Panel Discussion / Intervention from the floor 1 / Intervention from the floor 2).
- ODD 8 (Travail décent et croissance économique) : Dans une économie de plus en plus numérique et informelle, les protections sociales s’érodent. Au niveau global, 50% des gens n’ont aucune protection sociale. La société civile demande le financement et la mise en œuvre d’une protection sociale universelle et aux gouvernements de respecter les normes internationales du travail existantes ainsi que de réguler les plateformes numériques.
- ODD 14 (Vie aquatique) : Si nos océans meurent, nous mourrons. Et pourtant, ils paient un lourd tribut aux conflits et à la pollution plastique. La société civile demande à tous les États membres de ratifier le traité sur la haute mer et d’élaborer un traité mondial visant à limiter la production de plastique et à mettre fin à la pollution plastique. (Statement Panel Discussion 1 / Statement Panel Discussion 2)
- ODD 17 (Partenariats et financement) : Le multilatéralisme a besoin des partenariats pour fonctionner. Et pourtant, la société civile se voit de plus en plus souvent exclue des discussions. Les États membres doivent s’engager à mieux travailler avec la société civile et à rendre compte de manière transparente de leurs actions pour les ODD.
En outre, la question du financement de l’Agenda 2030 reste cruciale alors que des coupes budgétaires touchent de très nombreux domaines. Et cela est encore plus alarmant quand on sait que, dans le monde, les plus riches deviennent toujours plus riches. L’argent est là. C’est pourquoi la société civile demande des mesures fortes de redistribution comme une taxe sur les milliardaires, des conditions cadres qui garantissent que l’engagement du secteur financier soit inclusif et respectueux des droits humains et que la transition soit une transition juste qui participe à éliminer les inégalités à l’intérieur et entre les pays. (Statement Panel Discussion – prononcé par la Plateforme Agenda 2030)
La Suisse engagée, mais attendue sur le concret
Parmi les délégations présentes, la Suisse a réaffirmé son engagement fort en faveur de l’Agenda 2030. Le chef de la délégation suisse, Markus Reubi, Délégué du Conseil fédéral à l’Agenda 2030, a insisté sur l’importance de maintenir une approche coopérative malgré les défis géopolitiques et multilatéraux croissants. Il a souligné que la mise en œuvre des ODD ne peut réussir que si tous les acteurs — États, régions, villes, société civile, monde académique et secteur privé — unissent leurs efforts et a relevé l’interdépendance des ODD entre eux ainsi que l’importance d’une approche globale. Le forum de cette année ayant mis l’accent sur cinq ODD (3, 5, 8, 14 et 17), La délégation suisse comprenait plusieurs offices spécialisés — SECO, OFSP, BFEG, ARE — ainsi que des représentant·e·s du monde économique et du programme de délégué·e·s jeunesse auprès de l’ONU. La Suisse présentera l’année prochaine son Voluntary National Review.
En conclusion
Les résultats des discussions serviront à préparer le High Level Political Forum qui aura lieu en juillet. La situation internationale reste toutefois incertaine et peu d’engagements forts ont été entendus lors du RFSD. Mais les échanges et la collaboration forte entre les membres de la société civile nous donnent espoir et nous restons toutes et tous engagé∙e∙s et prêt∙e∙s à agir !

Rianne Roshier
Plateforme Agenda 2030

Les représentant-e-s de la société civile au forum régional pour le développement durable